Répondre efficacement à toutes urgences

Luisa travaille au Service d’aide médicale d’urgence (Samu) du CGDIS en tant qu'infirmière en anesthésie. Elle nous fait part de son expérience au sein de ce dispositif médical spécifique et partage sa façon de s’adapter à des situations médicales qui peuvent parfois être particulièrement difficiles.

Qu’est-ce qui vous a motivé à devenir infirmière et notamment à vous spécialiser en anesthésie ?

Luisa : Très tôt, j’ai senti que j’avais envie de faire quelque chose pour aider les gens, dans le social. J’avais fait des stages dans des crèches parce que je me disais que le social, c’est aussi travailler avec les enfants. Mais cet environnement ne me convenait pas vraiment. Et quand j’étais au lycée, j’ai fait du volontariat dans un service d’ambulance et j’ai alors découvert les situations d’urgence, la prise en charge des patients qui viennent d’être victime de choses brusques… ne pas savoir ce qui va se passer, le fait de travailler en extérieur, de voir des choses différentes, ça m’a intéressé. Mais aussi, ce qui m’a attiré quand j’étais bénévole dans les ambulances, c’est l’aspect pluridisciplinaire ; on a des contacts avec plusieurs professions médicales ou autres. On allait chez les médecins généralistes ou dans des maisons de soins, on rencontrait des infirmières, des aides-soignantes mais aussi des policiers, des pompiers qui étaient sur les lieux d’un accident. Ça fait pas mal de personnes que nous ne connaissions pas et avec qui nous étions amenés à travailler. Et en 9e au lycée, je devais faire un stage, j’avais alors 13-14 ans, je suis allée au CHdN à Ettelbruck et j’ai adoré ; voir les infirmières aider les gens quand ils n’allaient pas bien, leurs échanges avec la famille notamment dans des situations parfois critiques, les entendre exprimer leurs peurs, leur stress… Tous ces aspects m’ont vraiment attiré vers ce métier ; je suis entrée dans le paramédical puis au LTPS à Strassen.

Et pourquoi pas médecin ?

Luisa : Cette question, je me la suis posée quand je me suis spécialisée en anesthésie-réanimation à Bascharage, la formation que j’ai suivie juste après mes études d’infirmière. Je pense que j’étais trop jeune et j’aurais dû faire plus d’études. Mais dans une équipe pluridisciplinaires, en tant qu’infirmière, on a  beaucoup plus de contacts avec les patients qu’un médecin. Et on a aussi notre propre hiérarchie en tant que soignants. Aussi, sur le terrain, face à certaines situations, on se réfère au médecin. Et je pense que c’est peut-être cet aspect qui m’a poussé à devenir infirmière.

Avant de commencer mes études au LTPS, je pensais me lancer dans cette voie avec l’idée de devenir sage-femme. Mais ma période de bénévolat dans les ambulances m’a fait découvrir un métier qui m’intéressait davantage. J’ai eu le goût pour les situations d’urgence où le Samu, le médecin ou l’infirmier anesthésiste interviennent sur tout type d’évènement qui peuvent survenir au quotidien.

Dans une équipe pluridisciplinaires, en tant qu’infirmière, on a  beaucoup plus de contacts avec les patients qu’un médecin.

Comment se déroule votre préparation quotidienne pour intervenir sur toute urgence ?

Luisa : Tout notre matériel doit être prêt à tout moment pour une intervention. C’est du matériel d’urgence qui est contrôlé deux fois par jour, le matin et l’après-midi. Nous avons donc un appareil de monitoring (moniteur de signes vitaux), des équipements d’aspiration, de perfusion, d’intubation… Ce sont des équipements que l’on trouve à l’hôpital mais qui se présentent différemment car le tout doit être mobile. Nous devons aussi préparer les médicaments d’urgence, selon une liste prédéfinie et qui sont utilisés par le médecin avec qui on travaille en binôme. Comme chacun travaille selon sa propre organisation, notre Samu n’est pas équipé de la même façon que d’autres Samu existants au Luxembourg. Chez nous, ce sont les médecins qui décident de la liste de médicaments à avoir pour nos interventions. Et il y a aussi notre véhicule qui doit être prêt, fonctionnel à tout moment. Le véhicule, c’est primordial, il faut qu’il fonctionne, qu’il y ait les bons pneus, que tous les phares et feux de signalisation fonctionnent et qu’il soit propre.

Comment se passe un départ en intervention ?

Luisa : On est appelé, alerté par SMS et par bip. Avec mon binôme, le médecin anesthésiste, on se dirige alors tous les deux vers notre véhicule et on se dirige sur les lieux.

Avez-vous passé un permis de conduire spécial pour conduire le véhicule d’intervention et intervenir le plus rapidement possible sur ce type d’urgence ?

Luisa : En quelque sorte. On va au Centre de formation pour conducteurs à Colmar-Berg pendant une journée. On y apprend le temps de réaction, de freinage du véhicule. Ensuite, avec le temps, notre conduite se fait au feeling ; ce qu’il faut faire ou pas, comment les autres conducteurs, les piétons pourraient réagir, même si on ne sait jamais comment ils vont se comporter ; un jour, ils vont nous laisser passer en se plaçant sur la droite, le lendemain, ce sera sur la gauche. Aux feux rouges, certains roulent devant nous puis nous laissent passer, d’autres vont se coller au trottoir. Bref, on ne sait jamais. Là, ça peut devenir un moment stressant pour nous puisqu’on est appelé sur une urgence et comme je conduis le véhicule d’intervention, j’ai la responsabilité d’arriver dans de bonnes conditions sur le lieu d’intervention. Je ne prends pas de risques ; je roule vite mais en toute sécurité.

Comme je conduis le véhicule d’intervention, j’ai la responsabilité d’arriver dans de bonnes conditions sur le lieu d’intervention. Je ne prends pas de risques ; je roule vite mais en toute sécurité.

Quel secteur couvrez-vous au Luxembourg ?

Luisa : Le CGDIS s’occupe de la ville basse du Luxembourg mais on peut aussi intervenir ailleurs. Quand le 112 reçoit un appel, l’opérateur peut localiser les différents Samu à l’aide d’un logiciel et appelle celui qui peut intervenir le plus rapidement.

Et comment vous organisez-vous avec les gardes ?

Luisa : Au CNIS, on travaille de 6h à 14h ou de 14h à 22h. On ne travaille pas de nuit. Donc je travaille le matin ou l’après-midi, tous les jours de l’année. Le chef organise le planning et nous le communique plus ou moins un mois à l’avance. On est 10 infirmiers anesthésistes et 11 médecins anesthésistes à travailler. Avec certains, on travaille en roulement ; à 14h, l’équipe est relayée par la suivante. Le médecin fait les mêmes horaires que nous ou travaille 16h d’affilée et travaille donc de 6h à 22h. Et sur 8 heures, une équipe peut avoir entre deux et quatre interventions par jour. Mais ça peut aller bien au-delà.

La formation chez nous, c’est très important et même primordial. Il faut toujours se former pour être à jour dans les dernières bonnes pratiques à mettre en œuvre. 

Est-ce que votre activité est plus intense à certains moments de l’année ou de la semaine ?

Luisa : Non. En été, c’est peut-être un petit peu plus calme mais ça ne veut rien dire. Cet hiver, nous avons beaucoup d’interventions car il y a beaucoup de gens malades, les personnes âgées et les enfants qui font beaucoup de fièvre, qui convulsent, certains ont des problèmes respiratoires. On a beaucoup d’urgences pédiatriques en ce moment.

Pour être toujours à l’aise dans notre travail qui évolue sans cesse, la formation chez nous, c’est très important et même primordial. Il faut toujours se former pour être à jour dans les dernières bonnes pratiques à mettre en œuvre. Notre médecin chef nous envoie souvent des nouveaux guidelines ou quand il y a quelque chose de nouveau ou qui a changé dans notre pratique, nous avons un échange au sein de notre équipe. Nous sommes déjà partis à Hambourg et à Mainz pour des formations mais la plupart sont suivies au Luxembourg.

Est-ce qu’un étudiant ou même un lycéen pourrait faire son stage au CGDIS et accompagner ce type d’urgence ?

Luisa : On ne prend que les étudiants infirmiers ou médecins qui font leur spécialisation ou leur stage en anesthésie mais pas de jeunes élèves ou d’élèves infirmiers parce que notre activité est trop spécifique. On ne voit pas toujours de belles choses et certains évènements peuvent être bouleversants.

Justement, comment faites-vous pour tenir au quotidien ?

Luisa : On parle. La communication et l’échange sont importants au sein de notre équipe. Quand on est en intervention, on parle tout d’abord avec le médecin mais aussi avec l’équipe qui est sur place : les pompiers, la police, etc. Après, quand on rentre à la caserne, il est parfois nécessaire de parler et il faut le faire… surtout des choses qui ne sont pas belles à voir, tout ce qui concerne un enfant, tout ce qui nous bouleverse. À la caserne de la ville de Luxembourg, il y a pleins de pompiers. On monte les voir, on boit un café ensemble et il faut échanger sur ce qu’on vient de vivre, de voir. Il ne faut pas garder des images qui nous ont traumatisées ou enfouir des situations qui sont dures à digérer. Il est important de parler, de parler à l’équipe de ce qu’on a vu. Il y a 2-3 jours, l’un de mes collègues m’a appelé tard dans la soirée pour partager un évènement délicat qu’il a vécu. On a parlé une bonne vingtaine de minutes et ça lui a fait du bien. Un suivi psychologique est aussi proposé ; on a un psychologue au CGDIS et si on a un problème, on peut aller le voir à tout moment. Et comme on parle aussi beaucoup avec nos médecins binôme, jusqu’à maintenant, ça va. Mais effectivement, il y a certaines situations qui prennent du temps à digérer. Parce qu’on reste des êtres humains…

On ne doit pas faire un entrainement spécifique mais il y a un fitness à la caserne du CGDIS où on peut aller faire du sport » qui nous permet de rester en bonne condition physique.

Est-ce que vous avez aussi besoin d’avoir un entraînement physique ?

Luisa : Il faut être « fit », oui. On ne doit pas faire un entrainement spécifique mais il y a un fitness à la caserne du CGDIS où on peut aller faire du sport, ce qui nous permet de rester en bonne condition physique. Moi, je fais de temps en temps de la course à pied.

Ce métier n’est pas toujours facile mais on devient tout léger avec un « merci » du patient ou quand on arrive à sauver une vie. Il faut donc toujours voir la finalité, le bon côté de notre intervention.

Pour travailler au CGDIS, est-il nécessaire d’avoir une spécialisation en anesthésie ? Un infirmier sans cette spécialisation peut-il intégrer ce service ? 

Luisa : Pour travailler au Samu au Luxembourg, c’est comme ça. Les médicaments d’urgence à notre disposition en préhospitalier sont ceux que l’on retrouve dans les services de réanimation, d’urgences des hôpitaux et en salle d’opération. Ils sont très rarement disponibles dans les autres services. Ce sont des médicaments nécessaires pour une anesthésie, par exemple. Grâce à notre formation, on est tout à fait à l’aise pour prendre en charge un polytrauma.

Jusqu’à quel moment de sa carrière peut-on occuper un tel poste ?

Luisa : Je ne sais pas. Ça dépend de la personne. Comme ce sont des services très lourds, certains y restent pendant 10, 20 ans et décident de passer à autre chose. D’autres parviennent à le faire plus longtemps. Mais c’est vraiment personnel. On ne peut pas se dire, en début de carrière, que c’est un milieu dans lequel je vais travailler toute ma vie. Pour ma part, pour l’instant, je me sens bien dans mon métier. J’aimerais rester le plus longtemps possible mais ce n’est pas un métier facile. Il faut évaluer régulièrement tout ce qu’on peut supporter. D’autant que certains moments peuvent être plus difficiles que d’autres.

Nous ne sommes pas seuls à intervenir sur une urgence ; il y a aussi les pompiers et les First Responder qui sont sur place. Et grâce à eux, on peut travailler efficacement.

Avez-vous un message à passer à ceux qui voudrait s’engager dans cette voie ?

Luisa : Le chemin à emprunter pour faire ce métier – l’école d’infirmière, les stages – n’est pas toujours facile. Par exemple, parce que l’infirmière qui nous encadre ne le fait pas de la façon dont nous le souhaiterions. Mais quand j’étais en stage, je me disais et que je ferais peut-être différemment si je devais encadrer des élèves infirmiers et qu’après ces années d’études, ce sera mon métier pendant 40 ans. Et donc le stage, l’école, c’est très peu de temps ! À la fin de ma spécialisation en anesthésie qui n’a duré que 2 ans, j’allais pouvoir pratiquer pendant 40 ans un métier très spécifique, très humain. Oui, il faut être très humain pour devenir infirmière. La communication est essentielle parce qu’on s’occupe souvent de patients qui ont peur, peur de la mort, qui la frôle et qui, après une prise en charge de nos services, sont totalement changés et nous remercie. Leur merci nous suffit. On sait qu’on a bien travaillé. Ce métier n’est pas toujours facile mais on devient tout léger avec un « merci » du patient ou quand on arrive à sauver une vie. Il faut donc toujours voir la finalité, le bon côté de notre intervention. Nous ne sommes pas seuls à intervenir sur une urgence ; il y a aussi les pompiers et les First Responder qui sont sur place. Et grâce à eux, on peut travailler efficacement. Et pour finir, je dirais qu’on a vraiment besoin d’infirmier anesthésiste !